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Mes visites dans la ville de A***

 

A*** est la minuscule capitale d'une toute petite principauté du Rajasthan. Dans les années 20, le maharajah qui régnait alors, manifestait ses sentiments anti-anglais par des provocations parfois amusantes.

Il avait, par exemple, acheté à grands frais on imagine, des Rolls Royce qu'il utilisait pour la collecte des ordures. Elles n'étaient bonnes qu'à ça disait-il.  Un jour, lors de la viste d'une lady ou miss sans doute éminente, ce farceur eut l'idée désopilante de faire attacher une chèvre sous les fenêtres de la chambre où dormait la dame. Imaginez  l'effroi de la blanche personne plongée dans des rêves de pluie et de brouillard, quand au milieu de la nuit elle fut réveillé par les lamentations de la pauvre bête et les rugissements d'un tigre assoiffé de sang caprin. Car la région était infesté de tigres. Le maharajah, soucieux du bien être de ses sujets et de leurs troupeaux y mit bon ordre en les massacrant jusqu'au dernier comme en témoignent de nombreux négatifs où on le voit poser devant les dépouilles de ces magnifiques félins. Remarquant l'affection sans bornes que portent les Anglais à la gent canine, il prenait un malin plaisir à ne manifester pour les braves bâtards qui dorment au soleil des rues indiennes que dédain et cruauté, les exterminant encore, quoiqu'avec moins de style qu'il ne tuait les tigres. Il fit tant et si bien qu'au début des années 30, il fut destitué par la puissance coloniale, lasse de ses taquineries puériles. Remplacé par un cousin éloigné, il prit le chemin de l'exil qui le mena à Paris où il finit ses jours sous l'occupation, peut-être en compagnie de quelques collaborateurs, réunis par leur anglophobie commune.

 

Merci! Ô guide du Routard

A la même époque vivait à A*** le photographe auteur de ces photos. J'ai acquis les négatifs auprès de son petit-fils qui occupe toujours le même studio que son père occupait avant lui. D'après ce monsieur, notre conversation, malheureusement, est limitée du fait de l'absence d'une langue commune que nous parlerions couramment tous les deux, son grand-père aurait initié le maharajah aux plaisirs de la photographie. Il se pourrait, selon moi, que certaines des photos aient le maharajah pour auteur.

Le guide du Routard, dans son infinie sagesse, conseille de ne pas s'attarder à A***, ni même de s'y arrêter d'ailleurs. Tant mieux!, on n'y voit pas un touriste alors qu'à 150 kilomètres de Delhi, le temps s'est pratiquement arrêté. Il est vrai que les capacités hôtelières de la ville sont limitées. J'ai fini par dégotter un hôtel correct à quelques pas de la gare où s'arrête, deux fois par jour le train de la capitale. Tenu par une jeune femme, il bénéficie d'une pisicine (payante) et d'un bar où l'on peut boire de l'alcool jusqu'à des heures avancées de la nuit quand le reste de la ville est plongé dans un honnête sommeil.

 

Old is gold

Dans les rues et les ruelles, les gens me reconnaissent, me saluent parfois et j'entends derrière moi des conversations dont je pense être l'objet. Ils se demandent sans doute pourquoi ce type revient les voir tous les ans. Ils  doivent commencer à s'en douter un peu car mes pas me mènent toujours vers le studio de mon photographe dans une petite rue du bazar consacrée aux fanfares de mariage. Ils m'ont vu passer des heures dans cette boutique ouverte sur la rue, passer encore d'autres heures à trier des négatifs, à me disputer aigrement avec le photographe lors de marchandages sans fin auxquels s'est mis à participer son épouse, extrêmement dure en affaires, je dois avouer. Ils nous ont vu aussi compter et recompter d'épaisses liasses de billets de 500 roupies. "Old is gold" ai-je entendu dire un jour un voisin sentencieux.

Cependant, la ville est belle. Bâtie à flanc de colline, dominée par la ville princière avec le palais tout en haut et s'étageant jusqu'à la plaine à travers des murailles percées de portes à la mesure des éléphants de l'armée du maharajah. Le palais fait office aujourd'hui de cité administrative pour la ville d'A***. Il abrite les services de la mairie, le tribunal, dont greffiers et avocats emplissent les abords, campés devant de majestueuses machines à écrire, une armée de chauve-souris et un petit musée, un cabinet de curiosités plutôt, regroupant les collections des Maharajah. Pour une ou deux roupies, on peut tirer les moustaches de quelques félins empaillés, contempler une bicyclette en argent massif, des armes en pagaille, une armure renaissance et se crever les yeux sur une collection de miniatures indiennes. Je remarquai aussi parmi cette collection une petite staue du dieu Ram, à la peau bleue, un des avatars de Krishna, dont la photo, qui occupait la plus belle place du studio du photographe, me fit soupçonner l'existence des clichés que je découvris par la suite. La statue, réalisée dans un style très réaliste, et de plus, recouverte de vêtements, de colliers et de guirlandes de fleurs, crée un effet troublant car on ne sait pas au premier regard s'il s'agit d'un être vivant un d'une sculpture. D'après le petit-fils, cette photo aurait été prise en 1917. Près de cent ans plus tard, après son grand-père, puis son père, il en exploite toujours le négatif qu'il a scanné sur son PC, dont il revend des tirages, habilement coloriés grâce à un logiciel ad-hoc au dévôts, qui en Inde, on le sait, ne manquent pas.

 

De l'eau épaisse comme de la soupe

Derrière le palais, au bord d'un bassin rituel dont l'eau, épaisse et verte comme de la soupe de légumes, n'a pas été remuée depuis fort longtemps, dans de toutes petites baraques bâties dans le rocher vivent les familles des prêtres qui servent les dizaines de temples de la ville. A*** fourmille de temples, ou plutôt, d'autels. Derrière la porte de ce qui semble être une étable et qui sert aussi de remise pour une charette hors d'âge se cache un de ces autels où est vénéré un couple de dieux sous la forme de grandes marionnettes revêtues de tissu bon marché et de guirlandes brillantes. On donne dix roupies à l'officiant, fort doux, qui ne ressemble pas du tout à un membre d'un quelconque clergé. On machonne les quelques brins d'herbes offerts, avec apréhension, on se pénètre de la religiosité du lieu, de la pénombre et du silence. On regarde l'espèce de crèche, entourée d'objets hétéroclites noircis par la fumée de l'encens et des bougies, en essayant d'y comprendre quelque chose.

 

La charmante fille du brahmane

Un matin, il faisait frisquet, je me baladais seul dans les rues en attendant l'ouverture du studio quand je me décidais paresseusement à monter les nombreuses marches qui menaient à un autre de ces temples. Là-haut, j'hésitai à ôter mes chaussures ayant déjà machonné force brins d'herbes inconnues et craignant pour ma petite santé. Quand je vis, au bord du patio occupant le centre du temple, une jeune fille occupée à lire, une jambe relevée, à plat ventre sur un charpoil, ces lits d'extérieur dont aucun logis rajasthani ne saurait se priver. Encouragé par cette vision, je délace mes chaussures, retire mes chaussettes et m'avance sur la pierre glacée. Je salue d'abord un homme d'une quarantaine d'années, que je suppose être le père de la jeune fille. Il m'emmène très gentiment vers ce que j'appelle l'autel  en m'expliquant je ne sais plus quoi. J'ai encore droit aux brins d'herbe, que je commence à apprécier. Pour finir, il me trace sur le front avec l'index la marque orange que portent les indiens le matin au sortir du temple. J'ai ensuite la permission d'aller m'asseoir à côté la jeune fille sur le charpoil. Parfaitement anglophone, elle me parle du livre qu'elle lit : Sophie's choice de William Styron, de ses études en business et finances à l'université de Jaipur et d'une foultitude d'autres choses que je ne m'attend pas à entendre sortir de la bouche d'une fille de prêtre. Le papa se joint à la discussion mais le bétel qui remplit sa bouche rend son anglais difficilement compréhensible. Le bétel une fois expulsé, sa diction s'améliore et j'apprend alors qu'il habite dans ce temple que lui a confié le maharajah en vertu de son appartenance à la caste des brahmanes. Il n'est pas prêtre mais avocat et doit maintenir le temple ouvert à certaines heures et l'entretenir pour pouvoir continuer à y loger avec sa famille. Rien à voir avec les sadhus broussailleux et vaguement inquiétants, ou le clergé vénal rencontré dans d'autres temples de l'Inde.

La discussion continue, encouragée par notre amitié naissante quand j'ai l'idée de leur poser quelques questions relatives au sujet de certaines des photos. Le même matin, un peu plus tôt, j'avais entrevu à travers la porte en planches d'une remise la carcasse poussiéreuse de ce qu'il m'avait semblé être l'édifice surmonté de tours et de coupoles en crêpon que l'on voit sur une des photos. J'ai plusieurs photos de ce monument en modèle réduit. Il s'agit toujours d'un genre de mosquée ou d'un bâtiment d'inspiration moghole fait en tissu, emballages de bonbons, papiers brillants divers, morceaux de quartz ou de miroirs, crêpon. Mais si le bâtiment est toujours le même, les détails, sont différents comme si, en ai-je déduit, la même photo avait été prise chaque année à la même occasion mais que le résultat final variait en fonction de l'inspiration du moment. Mon interlocuteur me confirme que cette construction est en effet réalisée chaque année et promenée à bras d'hommes à travers la ville lors d'une certaine fête qui a lieu début Juillet. Il me dit aussi que cette construction se fait sous sa responsabilité et celle des membres de sa famille. J'aimerais bien y participer un jour mais je crains qu'en cette saison, il ne fasse un peu chaud.

 

Christophe Prébois